
IN MEMORIAM Andrée PONCET, Daniel REBOUL, Professeurs agrégés de l’Université décédés en 2018.
L’une est partie après avoir déposé dans l’oreille de ses élèves, depuis le début du lycée, de Maurice Scève des vers mystérieux en décasyllabes, organisés comme des astrolabes en presque cinq cents dizains mélodieux, vêtus d’une élégance toute lyonnaise, nés sur des bords où la cendre devient braises. Après la LUmière de la LUX PERPETUA qui traversa le précédent billet, voici donc les accents d’une VOX PERPETUA : d’une VOiX que la mort ne peut atteindre, mais encore moins éteindre.

Comme corps mort vaguant en haute Mer,
Ébat des Vents et passe-temps des Ondes,
J’errais flottant parmi ce gouffre amer
Où mes soucis enflent vagues profondes.
Lors toi, Espoir, qui en ce point te fondes
Sur le confus de mes vaines merveilles,
Soudain au nom d’elle tu me réveilles
De cet abîme auquel je périssais ;
Et à ce son me cornant les oreilles,
Tout étourdi point ne me connaissais.
Maurice Scève, Délie objet de plus haute vertu (1544).
Quant à Daniel REBOUL, il vient de nous quitter trop tôt, après une âpre guerre de Troie où l’alliée fut la médecine, au bout d’une longue odyssée pilotée entre les écueils, finalement pilonnée par la maladie. Mais il nous reste l’ardente intonation de sa quête, la contagieuse passion de son enseignement et sa confiance en l’amitié. Dès lors se rafraîchissent les schémas antiques, les anciennes relations entre villes ioniennes comme Phocée et Éphèse, enfin nos sources disponibles telles de fidèles ressources.

Daniel REBOUL nous montre aussi comment les grands courants traversent successivement la Méditerranée au Ier millénaire avant Jésus-Christ.

Poussés par la pression perse, les Phocéens à leur tour s’élancent à l’ouest, et fondent notamment Massalia qui, sous la protection de l’Artémis d’Éphèse incarnée par une certaine Phocéenne du nom d’Artémisarchè, devient avec une souveraine assurance Marseille.

Dans la dernière phrase de sa recherche, Daniel Reboul a pris soin de nous en assurer : « L’enquête n’est pas achevée ! »

De fait, les voies se révèlent réelles et les voix se réveillent fraternelles chaque fois que la musique nous met d’accord tout en indiquant le port.Il suffit pour cela d’élargir les poumons du corps comme de l’orgue : alors jaillit le son de la naissance sans défaillance, du souvenir prêt à tenir, plutôt qu’un défi de prouesse, la tendresse d’une promesse. Alors la mort honteuse se terre et ne peut que se taire, pendant que la PERPÉTUELLE VOIX de la joie essentielle se doit de travailler l’absence aux entrailles jusqu’aux éternelles retrouvailles.

Perpétuelles sont les voix comme perpétuelle est la lumière. Quelle belle façon a Theâme de saluer ceux qui viennent de quitter nos rives, Andrée et Daniel, deux agrégés, deux prénoms dont les genres sont quasi mixtes, évoquant ces deux sources linguistiques et culturelles de la Méditerranée que sont le grec et l’hébreu. Et voici que la mer moutonne donnant voix aux deux souvenirs, par voie de poésie avec le superbe extrait de Maurice Scève et par voie historique avec ces routes maritimes reliant Ephèse à la ville phocéenne dédiée à Artemis. Et merci à Jean-Pierre Bohn l’organiste de saint Florent, mais aussi à Jean-Baptiste Corot le peintre de nous tendre la lampe ou la musique de leur œuvres pour parfaire cet hommage, : violoncelle muet de l’un, orgue joueur de l’autre, et la liseuse entre les deux, grâce au silence de la lecture, saura tendre ses oreilles aux deux voix perpétuelles demandant elles aussi des oreilles perpétuelles. Je crois aussi comme Martine et Maurice que qui sait entendre la rumeur de la mer sait entendre la voix des disparus mêlée à sa propre voix intérieure à travers le chant de Dona Musica. Merci pour cette navigation en eaux profondes entre ceux qui se sont tus et ceux qui continuent à jouer. If music be the food of love play on, dirait Shakespeare