Elle n’a même pas besoin de rimes : la poésie est nichée au coin du vent, parlant votre langage – en plus aimant -, réparant ce qui s’éteint ou s’abîme…
Écoutons donc même en silence Pascal Riou :
Nous sommes hôtes, mon arbre, toi et moi
et tous mêmes qui l’ignorent, de la terre et du ciel,
du Souffle qui les créa un jour d’éternité.
Mais une voix de contradiction se lève et lui résiste en lui-même :
Un peu trop facile, poète, enfant comblé, de te croire anticipant la Parousie
… et presque la Venue absolue de la Présence intense, immense ! Le poète cependant persiste et La laisse signer :
Cette tendresse, je crois, certains l’ont nommée l’Un. Je dis : soit béni son visage et murmuré son nom. Vienne le chemin, vienne l’avant des jours.
Nous sommes précédés.
Il faut ne plus être dans son assiette pour voir luire, puis partager, des miettes :
Dans l’effondrement, l’engendrement se poursuit.
Il suffit de tendre alors une oreille pour percevoir :
Le vert, telle une basse continue, une pulsation sans fin et toujours variée qu’entend celui qui prendra le temps de respirer à sa loi.
Soudain s’embrase la sève parmi les pierres vides et pourtant pleines construites pour Galla Placidia dans les anciennes alluvions de Ravenne :
UNE BRAISE A BRÛLÉ ICI,
À L’OCCIDENT DE L’ORIENT
DONNANT PRÉSENCE À L’INVISIBLE.
QUE D’ÂGE EN ÂGE
ELLE TOUCHE L’ÂME
DE QUELQUES-UNS SUFFIT
POUR QUE LE FEU DEMEURE.
Ainsi dure la voix sûre des professeurs même s’ils disparaissent apparemment : leur postérité nous reste en fraternité, surtout si l’épouse et les enfants, les amis et les élèves, aident à réveiller leurs lignes en fidèle élan de vie, en point d’orgue sans orgueil ni limites.
Il est facile de se procurer aux Éditions de la revue Conférence le nouveau recueil de Pascal Riou. Quant aux poèmes posthumes d’Yves Suriel, on peut les commander en envoyant son adresse et un chèque de 20 € couvrant aussi les frais de port à
Madame Anne MIGUET 6 rue de l’Eglise 90150 VAUTHIERMONT.
Pour en percevoir la sève et le charme, voici quelques vers d’un premier sonnet de Thierry Miguet, d’ailleurs harmonisé par son petit-fils Adam :
AMOR UNUS
(Virgile – La mesure d’aimer c’est d’aimer sans mesure. Saint Augustin.)
D’une sève puisée aux sels secrets du monde,
D’une force arrachée à l’abîme des mers,
…
Par-delà l’univers et la sagesse même
…
Nous vivrons, dans l’étreinte et la prière unis,
L’unique liberté d’un amour sans mesure.
Mais, pour faire bonne mesure, suivons
LA FUITE EN ÉGYPTE
Sur un tableau de Marc Chagall…
La « lumière du monde » en fuite vers le Nil
Dont l’hoir se nomme « ÉGYPTE », et qui veut dire « Rien »
Est un bébé nourri par le merveilleux sein
D’une mère soumise au contretemps subtil.
Un âne dans la nuit porte la charge neuve
De ce Seigneur de tout, que personne ne craint,
Monture de douceur pour son solide rein,
Qu’un tel poids féminin d’un pur délice abreuve.
Il suit son maître obscur, une ombre dans le noir
Que guide au cher hasard, un angélique espoir,
Eclairé par l’élan d’un homme en son supplice,
Que la tête animale a voilé sur son centre
Avec une BONTÉ digne du sacrifice
Du futur crucifié, sorti du plus saint ventre.
Yves Suriel, 8 décembre 2007.

Elle est juste et belle cette idée de pesée du monde et de mesure de nos jours, pour exprimer le mystère opérant du poème. Quelle plus claire et biblique façon, d’âge en âge, de rester aux prises avec une réalité dont les chiffres secrets demeurent toujours à découvrir. L’impondérable intéresse moins le poète que le
« confiant moineau qui vient se laisser prendre,
Dont tu sens dans ta main le cœur chaud et battant. »
Marie Noël
Peser, mesurer : les poètes Pascal Riou, Yves Suriel sont des arpenteurs, des géomètres secrets. La métrique rétablit un rythme chanté du monde. La Jérusalem céleste fut mesurée. De pareille attention s’augmentent nos « parvis charnels »:
La chose dédaignée est-elle si légère?
Le plus humble copeau de nos parvis charnels
N’a-t-il pas son berger, peut-être sa bergère?
Yves Suriel
Merci à ces deux peseurs-mesureurs de Beauté. D’âge en âge ils nous ouvrent au Royaume. Merci à Theâme d’en être le divin portier.
Qu’il est bon de découvrir et de goûter tel un nectar précieux, les paroles dites par le passé .
Qu’il est doux de se laisser porter et bercer par la douce mélodie des mots d’une poésie.
Rappeler l’incommensurable et le mensurable.
Toute ma gratitude pour ceux et celles qui combattent l’oubli et oeuvrent afin que la parole reste.
Vous faites naître en chacun la soif d’augmenter la connaissance ou simplement de l entretenir.