
Étrange destin des signes qui nous servent à communiquer ! D’ailleurs, leur racine latine est autant l’orientation que l’incision : par la première, nous suivons comme une séquence un enseignement magistral plutôt que des enseignes militaires ; la seconde coupe ou grave par une section (superficielle) un objet qui dès lors fait sens. Alors que la parole dérive de l’effort parabolique qui sous-tend toute expression humaine, le terme grec de symbole implique aussi la division pour mieux produire la dynamique de la reconnaissance, sociale ou cognitive : de fait, dans l’antique tradition grecque de l’hospitalité chacun des deux hôtes gardait, en donnant ou prenant congé, un tesson de l’objet brisé pour que le ΣΥMBOΛON recouvre son intégrité lors des retrouvailles à venir. De même, tout signe est constitué non seulement par la trace et le mouvement qu’il porte d’un seul tenant, mais aussi par le couple – toujours en devenir – de la forme et du fond.

Or l’évangéliste Luc relate au début de sa Bonne Nouvelle une anecdote qui donne à penser. Zacharie sort soudain du mutisme qui l’a puni de son incrédulité, donc du recours au langage des signes, pour annoncer la miraculeuse naissance, successivement de son fils Jean le Précurseur et de son neveu, le Sauveur encore insoupçonné, avec un souffle dilaté par la louange et le soulagement :
Béni soit comme Seigneur le Dieu d’Israël,
parce qu’Il vient d’accorder Son regard, de préparer la rédemption, à Son peuple,
De réveiller la corne abondante en salut pour nous
dans la maison de David Son fils
– Dont Il avait parlé par la bouche de Ses saints prophètes sortis du temps,
De susciter le salut hors de la prise de nos ennemis
et de la main de tous ceux qui nous haïssent,
Pour faire preuve de miséricorde avec nos pères
et Se rappeler Son alliance sainte,
Le serment conclu avec Abraham notre père
de nous accorder qu’une fois libérés sans crainte des mains ennemies
Nous Le servions en sainteté comme en justice,
face à face, au long de nos jours.
Et toi, petit enfant, prophète du Très-Haut, tel sera ton titre :
tu t’avanceras face à face avec Lui pour préparer Ses routes,
Pour donner connaissance du salut à Son peuple
dans l’esprit d’absoudre ses fautes,
Par les entrailles miséricordieuses de notre Dieu :
ainsi viendra nous accorder son regard le soleil se levant de toute hauteur,
Pour apparaître pleinement à ceux qui dans l’ombre et l’obscurité mortelles gisent toujours,
et pour redresser nos pas vers une route de paix.
(Lc 1, 68-79 : traduction littérale du grec proposée par Théâme.)

Dans l’hivernale nuit de Palestine, des bergers reçurent alors parmi les étoiles l’annonce angélique d’un signe joyeux de plus en plus net : un nourrisson emmailloté dans une mangeoire (Lc 2, 12). Surtout en ces temps d’Épiphanie, nous pouvons aussi nous rappeler que les constellations formaient des signes dans le firmament nocturne pour les marins qui tentaient de tracer au large leur voie, dessous le ciel et le lent glissement de ses signes (Lucrèce, De rerum natura, Livre Premier, vers 2).

Ainsi, les mages venus de loin se repérèrent sur une étoile qui devint la clef autant que l’intersection de l’espace et du temps : d’après la Bonne Nouvelle de Matthieu, ils se laissèrent envoyer dans l’inconnu par un astre levé dans leur Orient, les précédant à leur grande joie (Mt 2, 7-11) jusqu’à l’enfant devant lequel ils inclinèrent leurs nobles personnes et leurs présents déferlants (Mt 2, 11-12).

Pendant que la zone euro se cherche “une assise démocratique“, affluent vers l’ouest, depuis le lieu proche de Tyr d’où partirent avec l’art alphabétique et les techniques nautiques Europe et l’Europe, migrants, réfugiés, proscrits de toutes les terreurs, à travers guerre, misère et gouffres amers à la fois. Mais peut-être le patrouilleur islandais Týr, à la manœuvre d’un récent sauvetage en Méditerranée, nous envoie-t-il un signe positif…

S’il y a prescription pour Europe après trois mille ans, il y a sans tarder une… prescription à rédiger, certes globalement, mais courageusement, afin que l’Eur–0pe guérisse de sa cécité volontaire, alors qu’elle a tout reçu pour ouvrir sans cesse plus largement sa vue, puis ses mues, pour être enfin digne et signe de liberté, de solidarité, de fraternelle humanité. C’est en ce sens – cette espérance – que Théâme peut (se) souhaiter une belle année 2015.
