
Europe, qui t’en veut, toi par qui tout se meut ? Qui cherche à te faire perdre la face pour que se dispersent et fuient tes traces ? Qui vient t’affubler d’oripeaux, t’arracher ton humble pipeau ? Enfin qui te défigure et de ce fait nous emmure ? La démocratie va-t-elle t’assassiner, toi qui naquis pour l’initier, la dessiner ?…
Trois dames des cavernes montent vers nos modernes indignations d’indigestion.
D’abord la pierreuse Phénicienne qui ne se savait pas musicienne :
voici la clarté de l’obscure ASTARTÉ, voici sa lumière ténébreuse et première.
Quelle est donc celle-ci qui monte du désert
Et de la nuit des temps, du fond des cavités
Où des mineurs migrants adoraient ASTARTÉ
Tout en mettant au jour la turquoise bleu-vert ?
Son nom fut récemment déchiffré, découvert,
Sur d’humbles murs obscurs tout à coup habités
Par des signes restés sans raison abrités :
Le mystère à nos yeux demeure grand ouvert.
Il prend le visage, non d’un peuple haï,
Mais de pâturages ponctuant le Sinaï
Et du premier signe de la première lettre,
Aleph, veau qu’adopta l’habile Phénicie
Pour que l’écriture la plus simple relie
Les traits, les sons, le sens, d’un message à remettre…

Est-ce un dieu travesti qui se fait tout petit ? Mais quel trésor se cache sous ces fines attaches de corps animal et d’essor lustral ?
Et quelle est cette fille échappant à la mer,
Arrachée aux mêmes racines orientales,
Happée par des grottes loin des rives natales,
Sur le dos d’un taureau parmi les pleurs amers ?
La bête semble avoir une tête de fer,
Tellement elle a su d’une adresse navale
Fendre les flots profonds sans qu’EUROPE ravale
Le moindre embrun salé. C’en est fait de l’hiver ;
L’animal étrange déploie sur une page
Son profil, l’alphabet entier, puis se dégage
De sa forme bestiale ; il redevient le dieu
Désirant la beauté mortelle : il la sait prête
A mettre au monde humain, au-delà de la Crète,
La danse de l’échange amical en tout lieu !

Et, dès lors, Quelqu’Un d’Autre enfante des apôtres, certes prêts, mais discrets.
Au Levant, quelle dame applique, semble-t-il,
Les conseils de Platon, sortant de la caverne
En pleine lumière non pas d’une lanterne,
Mais de son Nouveau-Né, de Son ardent babil ?
Cet Enfant souriant a vaincu les périls
Dressés par la misère et la nuit qui Le cernent
Dans l’étable de pierre ; un âne, un bœuf, hibernent
Près de MARIE : soudain, l’aurore bat des cils.
Le Verbe Se fait Chair, l’air respire en cadence,
Le monde se refonde et la vieille éloquence
Cède à l’Esprit le pas : car Lui Seul fait rimer
A l’Alpha l’Oméga parmi des hommes frères
Et sœurs, pour que les cœurs deviennent mères, pères,
Du Bien capable de s’exprimer, s’imprimer !

Ainsi le mot MOT EURope, pour peu que le chaos cède enfin à l’oiseau, devient MOTEUR : nos tropes n’auront plus rien à voir avec les combats stériles et secs.
Plus de mille ans après Jésus-Christ, Hildegarde en reprenant et réformant, par un fervent ferment aimant, libéra les chemins qui pour toujours nous gardent.

La course des navigateurs, des auteurs et des lecteurs ne cesse de nous conduire pour nous aider à construire, puis habiter, la liberté. Ces inventeurs semblent dissimulés, masqués : à nous de les suivre au loin, quitte à tout risquer. Nul besoin de costumes pour traverser l’écume : pour et par EUR-ope, ouvrons tout GRAND nos yeux, apprenons à relier et délivrer les lieux !
Hommage donc aux dames par qui la vie proclame que la vérité sait nous inviter. Précisément, Marie Balmary et Sophie Legastelois ont composé l’ouvrage à quatre mains Ouvrir le Livre, tissé de dialogues fructueux, d’une écoute symphonique, de rencontres au long cours :
« C’est un voyage. Qu’emporte-t-on ? » se demande Sophie au démarrage de cette lecture proche d’une aventure. A la fin paraît « le rêve d’un nous dans lequel s’entrebénissent des humains hier ennemis. Rien de plus fort sur cette terre ».

Alors déguisons-nous, et puis dégrisons-nous : car il nous faut descendre du mercredi des cendres jusqu’au ciel intérieur, au MOT qui rend meilleur, quand le fécond silence en avant nous relance.
