
Mieux que toute transe avance la danse : elle perce l’espace fermé, qui se montre tout près de germer ; elle ouvre aux prisons mêmes l’horizon. Ecoutez ces sourires damasquinés s’illuminer sans bruit pour vous le dire.

Un reportage, en effet, s’est inséré ces jours-ci dans le journal d’Arte, qui l’introduit ainsi : La vie quotidienne est devenue difficile pour tous les habitants en Syrie, y compris ceux qui vivent à Damas, la capitale. Ahmad, un danseur professionnel, a choisi de continuer à enseigner la danse aux enfants contraints de rester vivre dans leur maison en ruines.

“Je danse, nous dit calmement Ahmad à peine essoufflé, pour mes oncles morts ici, dans ma maison… Pouvez-vous imaginer qu’on se sente libre dans une prison ?”
Tel est donc le miracle de la danse qu’il reconstruit du vieux théâtre l’anse pour l’orchestra. Tout l’opéra naît à la seconde : car le ciel abonde alors de grâces jusque dans l’esprit, que nulle inhumanité ne meurtrit.

De même Ovide, contre le vide – sans faux-semblant, mais tout tremblant – de l’exil loin de Rome, rédige depuis Tomes son œuvre. Il peut ainsi s’adresser à son livre, le caresser comme l’incarnation d’Europe, tandis que ses vers développent l’analogie du volume et du taureau, l’alphabet qui s’envole comme un cadeau sur l’échine d’aleph, sous la voile de celle qui suivit ses étoiles en territoire inconnu d’un doigt hésitant et nu, pour que brille l’élégie – même en battements boiteux – plus fort que la nostalgie et ses pincements peureux. Au début de notre ère, Ovide se libère avec nous de tout bannissement, ouvrant nos captivités au vent de l’accord qui bouge et qui vibre jusqu’à l’équilibre des fibres.

Mon petit – je ne t’en voudrai pas d’ailleurs – sans moi, ô mon petit livre, tu iras à la grande Ville :
pauvre que je suis ! À ton maître en effet il n’est pas permis d’y aller.
Va, mais sans ornement, selon la beauté propre au livre d’un exilé.
Ah, malheureux, garde l’allure qui sied à ces circonstances !
Et que de leur fard de pourpre les myrtilles ne te maquillent pas
– car elle n’est pas assortie aux cruelles douleurs, cette couleur,
que ton titre ne soit pas marqué de vermillon ni ton papier d’huile de cèdre,
que tu ne portes pas à ton front noir de cornes blanches !

Que les petits livres heureux s’ornent de ces accessoires :
mon sort à moi, voilà ce qu’il est beau que tu gardes en mémoire.
Que tes deux fronts ne soient pas polis par une pierre ponce friable,
de manière que tu paraisses hérissé, le poil ébouriffé.
Que les taches ne te fassent pas honte ! Qui les aura vues
Comprendra qu’elles auront découlé de mes larmes.
Va, mon livre, et par mes mots salue les contrées que j’aime !
(Ovide, début des Tristes, traduction proposée par Théâme.)
Maximilien Kolbe le savait aussi, ne pouvant face à l’horreur rester assis ; en nos tragédies que les migrations créent ou multiplient, la libération dans chaque douve respire, couve et redit par son sang innocent, agissant : le livre délivre ; d’ailleurs, sous les autres arts mûrit sans bruit le départ qui seul travaille aux retrouvailles, tandis que l’Assomption paraît, sans componction, et que sous sa lumière explosent les barrières.
