
Après avoir suivi des maisons de bergers dans le précédent billet, Théâme vous invite à remonter le temps avec elle, à (re)partir à la rencontre du Portugal, à vous porter au-devant de la Bergère apparue au cœur battant de ce petit pays voilà bientôt cent ans. Quelques souffles préfiguraient cette découverte il y a presque un quart de siècle, inspirant des textes maladroits, faisant flotter des lignes apparemment régulières, qui requièrent votre indulgence sur les routes d’Europe et de ses ports.
- L’attente de la Bergère,
EUROPORT, Algarve, 1990.
Água[1], parole aisée à transmettre et montrer :
Sur sa proue, Europe vient et va rencontrer
-Avec ses antennes dignes d’un bon pêcheur,
Avec ses cris- la houle et les coups de fraîcheur
Que crache l’océan dressé sur son séant.
Elle est bonne même quand trop fort elle gronde
Jusqu’à l’horizon, l’onde à la nuance profonde :
Sous son géant galop d’azur meurt le néant.
*
Oreilles
A l’envers,
Bouteilles
A la mer,
C’est une épiphanie
Que la Lusitanie[2].

Laissons-nous dessiller
Les yeux par le sillage,
Laissons se réveiller
L’ouïe comme un coquillage,
Comme un doigt que cherche à fouler
Le fou fidèle envol des vagues
Voulant à loisir l’enrouler
Au creux de leur chantante bague…
C’est vrai, la mer parle ; c’est vrai, ce qu’elle écrit.
Avec confiance, il faut accepter son alliance
Pour qu’elle vous transmette une nouvelle science
Et que votre aile claque au souffle de l’Esprit.
*
C’est un cri de salut qu’un appel de saudade[3] :
L’espérance réveille aux accords du fado[4],
Comme si l’épopée atteignait le radeau,
Et sur la mélopée inespérée la rade.
Il ne sera jamais possible que se bradent
Les trésors de ce peuple ; il fait bien le gros dos,
Mais de ses yeux ruisselle un fleuve de cadeaux :
Grâce à lui le monde ne sera jamais fade.
*
[En lisant Le Livre de l’intranquillité de F. Pessoa.]
Du sel les brisants
Et de l’azur le sang
Dans chaque veinule
De notre corps circulent.
Donne-nous céans
Où jardinent
Les sardines
Ta force, océan,
Pour toute beauté de notre existence
Et, pour toute bonté, ta résistance !
*
Quels sont donc ces sommets, ces crêtes bleu marine,
Ces aiguilles, ces coqs, qui nous ont menacés
A grand bruit avant de venir se fracasser,
Montagnes aux pagnes de si fine farine ?
Il était une fois des œuvres enfantines,
Royales demeures et châteaux-forts classés :
La marée est montée dans chacun des fossés,
Mais le cerf-volant file au-dessus des sentines.
Ce peuple ne veut pas se laisser ensabler
Par de beaux souvenirs, ni non plus accabler
Par un dur avenir : jamais il ne suffoque.
Car il est protégé par les doigts magiciens
Et les symboles clairs des jeunes Phéniciens[5] :
Il fait toujours danser dans l’arc-en-ciel nos loques.
*
Par une étoile, chaque étape du chemin
De croix délie l’humble bravoure de ces mains :
A ce petit peuple, l’infini se révèle
Toujours, de même que s’ouvrirent à Faro[6]
La liberté du livre et du flux les barreaux.
Pour traduire le ciel, gréons nos caravelles !
*
Devant les chiens errants
Et le phare tremblant,
Quelles sont ces phalanges,
Quels sont ces envols d’anges ?
La mer veut nous hausser :
Il faut nous déchausser.
Elle est restée bien chaude
Et ses doigts nous ravaudent.
Allons le long des flots,
Ici-bas notre lot.
Dans sa barque de brume,
Le soleil se rallume :
Sous la claque du vent
Eclôt l’éclair du sang…
Il existe des rimes
Où le souffle s’arrime.
*
En vaisseaux tout à coup, les carreaux se mordorent
Aux rives de lessive et débordent d’aurore.
La nuit peut éclater, car une source attend
Que nous lui ouvrions un pan de notre temps.
*
L’on dirait qu’à travers toute l’Europe Ulysse,
Jusqu’à l’océan où l’infini craque et crisse,
Inaugura l’ère de l’onde à déployer.

Puis un Dieu descendit en nos mortels espaces :
Serpent de bronze, il pique au vif la chair trop lasse
Et dispose la terre aux ardeurs d’un Foyer.
*
A vous, eucalyptus,
Oliviers, adeus[7]:
Pendant le jour, les fils de la Vierge s’étoilent
Encore des astres qui les tissaient en voiles.
[1] Désigne l’eau en portugais.
[2] Nom antique du Portugal, peut-être formé sur la racine latine du jeu.
[3] Nom portugais d’un sentiment de perte mêlé d’espérance.
[4] Genre musical portugais où la mélancolie est accompagnée par des instruments à cordes pincées.
[5] C’est le peuple, dont Europe est issue elle aussi, qui vint ici, du Proche-Orient en Extrême-Occident.
[6] Faro est une ville historique et le chef-lieu de la province d’Algarve.
[7] Adieu en portugais.