
I. M. Rolande B.-P.
Ce billet sera placé sous le signe d’un adieu, mais aussi sous la lumière d’une triple rencontre providentielle ; étymologiquement, ce qualificatif signifie : qui voit – ou fait voir – en avant. De fait, le croisement d’une certaine rue dédiée aux Charpentiers a permis de tresser à trois, dans une présence durable, au passé l’avenir et l’instant (étymologiquement, l’imminent !).
Tout commence par l’extrait d’un ouvrage offert, douloureusement – et pourtant doucement – éclairé par le deuil d’une autre amie : Le Pouvoir du moment présent – Guide d’éveil spirituel d’Eckhart Tolle, traduit de l’américain par Annie J. Ollivier pour Ariane Editions Inc. (2000). En voici l’Origine (page 20) : « Derrière mes paupières encore closes, [un] son prit la forme d’un précieux diamant. Oui, si un diamant pouvait émettre un son, c’est ce à quoi il ressemblerait. J’ouvris les yeux. Les premières lueurs de l’aube fusaient […]. Sans l’intermédiaire d’aucune pensée, je sentis, je sus, que la lumière est infiniment plus que ce que nous réalisons. » Il faut donc s’embarquer franchement dans la veille pour que se révèlent d’éternelles merveilles…

Dès lors, tout continue par la découverte du livret de La Passion de Simone, déjà présenté par Théâme et composé par Amin Maalouf sur le rayonnement de Simone Weil, dont voici de larges extraits :
1 Première station
Chant : Simone, grande sœur,
Petite sœur, Simone !
Je contemple ton visage
Au dernier printemps de ta vie
Pour refaire avec toi, en pensée,
Le chemin de ton agonie.
Tu es née longtemps avant moi
Puis, un jour, tu as renoncé à vieillir.
Je t’admire d’avoir fait de ta vie
Une traversée lumineuse,
Mais je t’en veux d’avoir préféré la mort.
Lecture : Rien de ce qui existe n’est absolument digne d’amour, il faut donc aimer ce qui n’existe pas.
[…]
3 Troisième station
Chant : Une autre que toi
Se serait détournée du monde
Pour se soucier de sa propre souffrance.
Toi, tu t’es détournée de toi-même
Pour fixer ton regard sur le monde.
Lecture : Avoir l’attention tendue…
Chant : N’être plus qu’un regard, comme si
Celle qui regardait n’était rien, comme si
Elle voulait se fondre dans ce qu’elle contemplait.
Se fondre, se dissoudre, s’anéantir.
N’exister que par son attention au monde,
A ses soupirs, à ses chuchotements,
A son silence.
Lecture : Savoir écouter le silence… Avoir l’attention tendue vers l’absence de bruit…

7 Septième station
Chant : En sortant de l’usine, grande sœur,
Tu ne croyais plus aux sociétés humaines,
A leurs mythes joyeux, ni à leurs promesses.
Chœur : Deux forces…
Chant : Leurs révolutions ? Elles naissent dans la violence,
Et s’achèvent dans la tyrannie.
Leur démocratie ? Un autre mode d’asservissement.
Chœur : Deux forces règnent
Sur l’univers…
Chant : Tu te méfiais des partis, des nations, des Eglises,
Rien que des prisons, des prisons pour l’esprit !
A quoi donc croyais-tu encore, Simone, grande sœur ?
Seulement à cette flamme…
Chœur : lumière et pesanteur…
Chant : A cette flamme fragile
Qui brûle en chacun d’entre nous,
Et se nourrit de nos souffrances.
Chœur : lumière et pesanteur.
Chant : Tu croyais seulement à cette flamme tremblante
Qui nous éclaire, nous purifie,
Et nous élève vers notre liberté,
Quand la pesanteur du monde nous entraîne
Vers la voracité, et vers la servitude.

8 Huitième station
Chant et Lecture : Dieu se retire
Pour ne pas être aimé
Comme un trésor par un avare.
[…]
15 Ultime station
Chant : Par ta mort, tout ce que tu avais dit
S’est transformé en testament.
Chœur : Tu as marché
Vers l’anéantissement de toi-même,
Et tu as obtenu
Une résurrection.
Lecture : Ne pas croire à l’immortalité de l’âme, mais regarder toute la vie comme destinée à préparer l’instant de la mort.
Chant : Ta passion, Simone, grande sœur,
Ta passion a vaincu l’oubli,
Ta grâce a triomphé
De la pesanteur du monde.
Lecture :Rien de ce qui existe n’est absolument digne d’amour, il faut donc aimer ce qui n’existe pas.
Chant : Ta grâce s’est libérée
De la pesanteur du monde.
Mais la terre où tu nous as abandonnés
Est toujours ce royaume trompeur
Où tremblent les innocents.
Notre billet débouche enfin sur le soleil que deux enfants misérables de Rio regardent se lever au son de la guitare d’Orphée, à la fin du film ORFEU NEGRO de Marcel Camus – récemment diffusé par la chaîne de télévision France Ô, tandis que les mythes de l’amour et de l’art qui en nous veillent nous réveillent à la tendre vérité chantée par l’éternité : la chute d’Eurydice et d’Orphée a fait jaillir l’alliance du rythme et de la paix. Tant il est vrai qu’un tel vent de triples rencontres crève comme un écran le cadran de nos montres, si dur et froid soit-il : l’âme, dans le droit fil de ses invisibles ailes, demeure partout fidèle, accordant sa présence jusqu’au bout aux plus incompatibles rendez-vous !
