5-10 novembre 2012.
Sur la surface du désert,
Il y avait quelque chose de fin,
De crissant, quelque chose de fin
Tel du givre, sur la terre […], matin après matin,
Autant que chacun pouvait en manger (Ex XVI, 14 et 21).
[Vers la Toscane]
Sculptons de la paix
Le sol élastique
Et que nos projets
Deviennent musique.
L’espace va s’ensemencer ;
Un visage ami vous escorte
De rencontres jusqu’à la porte :
Le voyage peut commencer.
Une ferme au versant halète :
Un solaire éclair s’y reflète.
Le duvet
Qui revêt
Les terrils brille d’une lumière
Non automnale, mais printanière.
Sur des troncs,
Les mouettes
Sont chouettes,
Sans un son.
Sur la braise
Des mélèzes,
Les ruisseaux à grands bonds
Dégringolent des monts :
La neige
Protège
Alors les yeux
Pour d’autres cieux.
Le bleu se mire aux visages
Et se marie au voyage.
L’Europe ne sent plus ses vieux fils de bâti ;
Car, progressivement, elle s’aime et s’unit :
Elle se joint par la culture
Qui guérit les points de suture.
Plus haut d’un cran
Que les écrans,
Les tuiles
Défilent.
Le blé d’hiver
Parle à la mer :
Sous les nuages
D’écobuage,
Les toits plats aux tuiles rondes
Avec l’arc-en-ciel se fondent.
La route fend
Parmi les chants
Les averses
Qui la bercent
Vers l’envol
D’autres cols.
Les rêves
Seuls crèvent
Le mauvais temps
D’un geste aimant
Dans un vent pictural
Et presque théâtral.
Les carrières
Font barrière
A la glace, les chevaux
Sans peur courent aux bateaux,
Tandis que les arbres
Jouent avec le marbre
Dans l’or du soir
Où vient nous voir
D’Europe l’heure,
Pour que ne meure
Plus l’essor musical
De l’accord amical.
Alors l’olive
Hume les rives,
Le pain
S’anime
Sous les pins
Maritimes.
[Montecatini Terme]
Des vieilles maisons
Frémissantes
Comme tentes
La source tient bon
Dans la pluie qui s’accroche
Au diapason blond
De la charnelle roche.
[FLORENCE]
Sous la brume fleurit
Florence qui sourit
Déjà, plus loin que le cèdre et ses ailes,
Parmi les grues, les truelles et les pelles.
Les oiseaux
Ne sont pas rares
Sur le carrare,
Saut à saut :
Du beau temps l’arôme
Caresse le dôme.
Mimmo Paladino
Rejoint Fra’ngelico
Par ses sculptures
En pierre pure,
Dans une croix
Où chacun croît.
Qui resterait maussade
Sous de telles façades
Lorsque le printemps
S’en vient verdissant
Sur la chaleur d’un givre
Qui de la nuit délivre ?
[Couvent Saint-Marc]
Un ange tient la porte :
Frémit la poutre morte.
Les pas espacés
Ne sauraient passer :
Venez renaître
A la fenêtre.
La sonnerie retentit :
L’essentiel est réparti.
Face à la billetterie, une église
Anonyme allume une hostie de brises.
Poires et lis
Des Médicis
Tendent leurs branches
Pour que ne flanche
Aucun blason :
Suivez l’enfance
En floraison,
Voyez Florence
En oraison.
[Offices :]
Une marche ample
Danse et contemple
Les tableaux
Toujours beaux
De la Galerie
Qui sourit et prie.
Le fruit des métiers
Devient un voilier :
Nul art n’attriste
Aucun artiste.
Il suffit que sans heurt
Il écoute son cœur.
Le voile est une aile
Dont l’air nous appelle,
Tandis que des coins d’azur
Terminent enfin les murs :
Le pavé crépite
D’ardentes pépites,
La montagne rosit
Et le fleuve bénit.
En claire ogive
Sur les olives,
Chaque parc
Tend son arc.
[SIENNE]
Les fontaines
Restent pleines
D’un firmament
Doux et charmant.
Lentement, Sienne
Deviendra tienne
Entre les vins
Et les jardins :
Le long des dalles
S’ouvrent des salles.
En gouvernant, les Neuf
Ont su faire du neuf.
Les cloches
S’approchent,
Les cyprès
Sont tout près.
Sur la terre de Sienne,
Les roses musiciennes
Exhalent le miel
Du souffle essentiel.
Jacques de la Chênaie [Jacopo della Quercia]
A façonné la baie
De la Joie dans le marbre immaculé :
Schiller et les chevaux viennent caracoler
Sur le Campo comme Europe
Qui sous la voûte galope
Entre noyaux
Forts et joyaux.
La blancheur se fait tendresse
Au cœur de la forteresse :
Le pavement de l’Assomption
Oriente la contemplation
De la rigole à la coupole.
Et revoici notre Nievole.
[PISE]
Les ruines des châteaux
Se changent en bateaux :
Ils tendent leurs mains sur la plaine,
Jusqu’aux sombres pentes lointaines,
Entre les ailes des roseaux
Et les muets plumets des oiseaux.
Les nuages s’irisent
Au-dessus de Pise.
Pour le poète aviateur Gabriele D’Annunzio,
Le miracle fonde « Cittadella di Dio » :
Le baptistère
Nous désaltère.
A ciel ouvert
Et en plein air,
Entre les portes
Vont les cohortes.
Les Pisans
Sont puissants,
Mais il se mélange,
Entre eux tous, des anges.
L’haleine de la mer
Semble chasser l’enfer.
[LUCQUES]
Des gousses
De canaux
Verts poussent
Sur l’Arno,
Les clochers et les granges
S’élèvent de la fange.
Le parfum du bois
Fait que chacun voit :
Jacques de la Chênaie
Mûrit le marbre mort
En saveur de haie,
En phare de port.
[Vers l’Alsace]
Comme un âne,
Tisonnant,
Grisonnant,
La Toscane
Avance bravement
De pas en pas vaillants.
Les meules forment des toitures
Couvertes de sombres voilures.
Vous changez, volets,
Les parois en palais
Meilleurs que les rêves,
Car porteurs de sève,
Tandis que les oliviers
Semblent de stables coursiers
En livrée
Argentée.
Sous les seaux d’eau,
Les rivières,
Les rizières,
Font le gros dos
Et la joie les troue
Quand elles s’ébrouent :
Il faut un pied à l’étrier
Pour parvenir à bien relier.
Ainsi le monde se ravitaille
En buvant aux paumes qui travaillent.
Les arbres sont pleins comme des fûts
Refusant encore d’être nus.
Alors que la lumière
Soulève chaque pierre,
Les vols d’étourneaux
Joignent les échos.
Les pentes s’enchantent
De sentes, de plantes :
Les calmes troupeaux
Versent le repos
De la semaine
Au fil des plaines.
Les chantiers
Aspirent
A l’empire
Entier :
Le sel erre
Sous la terre.
Mais l’esprit
Met le prix
A l’espérance
Qui le cadence.
Le Vatican
Finance les routes :
Comme un volcan,
S’embrase le doute
Puisque la croix
Sur Nicodème
Montra la voix
Et l’œil qui l’aiment.
Ainsi
Surgit
Le Saint Visage
Que le voyage
Mena sur les terrains
Du labyrinthe
Dénué de plinthes,
Bourbeux et trop humains,
Jusqu’à Lucques, jusqu’à sa galerie,
Où Martin partage plus que la vie.
Le blé d’hiver
Chauffe le fer
Des pluies
Qui fuient.
Cultivez
Les terrasses,
Arrivez
A la grâce !
Aujourd’hui, le fond d’écran à l’hôtel
Montrait les traits des collines toscanes :
On aurait dit l’autel
Où respire la manne.
Par les chemins creux,
Les matins heureux
Nous mènent aux crêtes
Discrètes des fêtes.
Tout là-haut, un bec d’oiseau
Vient picoter le carreau,
Percevant les champs de courses
Et les crissements des sources ;
Le vent sait que le cœur
Est le meilleur moteur
Et que la manne désigne
Aussi le panier
Fait de bel osier
Pour porter les fruits des vignes
Comme de Dieu,
De lieux en lieux,
De la rencontre la plus inespérée
Aux retrouvailles enfin réalisées :
Sur les blocs blancs, le jour
Goûte à sa faim l’amour.