
Il nous faut sortir de nos sommes bien trop épais, comme des sommes que nous comptons sur tous les tons. Le secret de notre cœur somme pourtant un art que rien ne nomme, mais qui seul nous fait femme et homme. Alors, dans le danger capable de changer les plus lâches œillères en brise de lumière scintillent tout à coup des mots qui nous font regarder plus haut :
…Donnez-moi, mon Dieu, ce qui vous reste,
Donnez-moi ce qu’on ne vous demande jamais.
Je ne vous demande pas le repos
Ni la tranquillité,
Ni celle de l’âme, ni celle du corps.
Je ne vous demande pas la richesse,
Ni le succès, ni même la santé.
Tout ça, mon Dieu, on vous le demande tellement,
Que vous ne devez plus en avoir !
Donnez-moi, mon Dieu, ce qui vous reste,
Donnez-moi, ce que l’on vous refuse.
Je veux l’insécurité et l’inquiétude…
André Zirnheld (1913-1942), prière du Para.
Ainsi, dans nos journées, Dieu se fait tout petit (Is 45, 15). Nous aurions de l’appétit pour de libres embardées…

Mais il ne nous est donné que l’ordre de bienveillance, celui qui sait ordonner la nature à la vaillance pour que la fraternité demeure sans défaillance.

Or, entre les eaux de la Robertsau, entre “Apollonia” et le Lieu d’Europe, où donc la sauveuse sauvée Europe est-elle passée ? Voyez le Taureau triste errer dans nos rues aspirant à la mue…

Ni Dieu ni l’Europe ne se laissent trouver facilement : FAILE vient aussi le prouver en plongeant dans le passé de la ville. Mais il n’en sort qu’un négatif tranquille.

En noir et blanc, en lignes d’écriture plus dignes de couleurs et d’ardeur, voici la traduction d’un poème qui sait du moins résumer au lieu de nous assommer… pour mieux dire à Strasbourg son “Je t’aime”.

Heureusement dans ces murs, un flûtiste tourne sur un disque et jette une clarté longtemps cherchée, par le simple jeu de l’enfance dénichée. Nous traquions l’air et de Corneille un vers a lui : “Rome n’est plus dans Rome, elle est toute où je suis” (Sertorius, III, 1). Où, l’art que chacun somme ? Il est tout où nous sommes !

Ainsi se révèlent de vieux mystères et s’ouvrent des yeux. Car, tout à coup, d’une allée médicale se lève un frère en magie musicale.

Il n’est pas plus doué de vie : tous deux, voués à des biens qui ne se consomment pas, mettent en souriant “la gomme” cependant pour que le ciel hospitalier s’ouvre, nous accueille et veuille nous relier.

Du sculpteur disparu nous restent donc, outre un crucifix de grès et de douceur posté à l’ancienne entrée des Hospices civils strasbourgeois, des statues en bronze d’enfant musicien. Mais, touchée par cette baguette inerte et pourtant plus forte que toute perte, sa propre fille Anja Linder, née huit mois avant le décès du plasticien, surmonta par le miracle de la musique et de l’amour également la paralysie que lui avait infligée un tragique accident, lors du spectacle donné dans le parc du château de Pourtalès, au début de l’été 2001. On ne peut commander à l’art que l’équilibre qui le fait avancer jusqu’à nous rendre libres. Voici la divine splendeur qui vient transfigurer l’horreur lorsque la Providence donne sens à l’absence.
Merveilleuses recherches qui nous permettent par cet oeil aguerri de faire le lien entre l existence de tant de grandioses réalisations.
Les pièces du puzzle s’assemblent , accolant non seulement oeuvres et artistes mais encore ici, un bout de l ‘arbre genealogique .
Oui, l’arbre généalogique de nos amis artistes, de nos cités, de l’Europe même, reste fructueux et porteur ! Je viens d’ailleurs de trouver – après le retentissant orage de la nuit dernière – chez Robert Desnos, poète d’abord surréaliste mort au camp de concentration de Theresienstadt juste un mois après la date de la Victoire de 45, des lignes datées de 1922, que j’avais (re)marquées pendant mes lointaines études :
“Les sommes nocturnes révèlent / la somme des mystères des hommes. / Je vous somme, sommeils, / de m’étonner / et de tonner.”
La découverte et la redécouverte de mots ou de phrases notés par ces disparus les font soudain revivre parmi nous.