
Vingt-trois ans plus tard, à l’occasion d’un voyage envisagé par des amis, Théâme s’est prise aux jeux de la mémoire en retrouvant des notes de voyage rapportées de Prague. A présent, la première image illustrant ses souvenirs, celle de l’Enfant Jésus de Prague vénéré par sa famille, s’accorde à la toute récente découverte que vient de lui offrir, du fond de notre ère, une présentation du docteur errant Clément d’Alexandrie. En voici donc quelques titres et passages dans une traduction proposée par Théâme.

SAINT CLÉMENT D’ALEXANDRIE rédigea en grec, entre le deuxième siècle et le troisième après Jésus-Christ, LE DIVIN MAITRE, ou LE PÉDAGOGUE dont le Livre Troisième déclare Ὅτι φιλάνθρωπος ὁ παιδαγωγός ou L’amour de l’homme habite l’Educateur par excellence, dont le Livre Cinquième proclame Ὅτι πάντες οἱ περὶ τὴν ἀλήθειαν καταγινόμενοι παῖδες παρὰ τῷ θεῷ, c’est-à-dire : Tous ceux qui s’occupent de vérité sont des enfants tout près de Dieu. Il développe ainsi (cf. Mt 18, 1-4) : Ἐμφαντικώτερον δ´ οὖν ἡμῖν ἀποκαλύπτων ὁ κύριος τὸ σημαινόμενον ἐκ τῆς παιδίον προσηγορίας « Γενομένης ζητήσεως ἐν τοῖς ἀποστόλοις, ὅστις αὐτῶν εἴη μείζων, ἔστησεν ὁ Ἰησοῦς ἐν μέσῳ παιδίον εἰπών· ὃς ἐὰν ἑαυτὸν ταπεινώσῃ ὡς τὸ παιδίον τοῦτο, οὗτος μείζων ἐστὶν ἐν τῇ βασιλείᾳ τῶν οὐρανῶν».

Le Seigneur, en nous révélant plus clairement ce que signifie l’appellation de « petit enfant », quand eut surgi parmi les apôtres une recherche pour savoir lequel dépassait par son importance, Jésus donc plaça bien au milieu un petit enfant en leur disant : celui qui se baisse au niveau du petit enfant que voici, celui-là dépasse, par son importance, dans le royaume des cieux.
Quant au CHAPITRE VI, il tente d’approfondir la notion d’enfance spirituelle à laquelle notamment Ch. Péguy et G. Bernanos ont dû par la suite leur certitude comme leur vocation. Il s’intitule Πρὸς τοὺς ὑπολαμβάνοντας τὴν τῶν παιδίων καὶ νηπίων προσηγορίαν τὴν τῶν πρώτων μαθημάτων αἰνίττεσθαι διδαχήν et s’adresse donc : A ceux qui supposent que l’appellation « enfants » et « nourrissons » ne suggère que l’apprentissage des rudiments.

Le même esprit d’enfance habite la toute-puissance démiurgique du Soulier de Satin : Paul Claudel situa le début de sa Troisième Journée dans l’église Saint-Nicolas de la Malá Strana, là même où Mozart vint toucher l’orgue, et où des statues baroques en disent plus long que leur spectaculaire grandiloquence muette. Soudain, pourtant, « après la bataille de la Montagne-Blanche », dans le timide « soleil d’un soir d’hiver », leur silence paraît enfin reprendre haleine pour prêter l’oreille à la discrète et chantante prière d’une future mère princière, Doña Musique la bien nommée :
« Il suffit qu’une petite âme ait la simplicité de commencer, et voilà que toutes sans qu’elles le veuillent
se mettent à l’écouter et répondent, elles sont d’accord.
Par-dessus les frontières nous établirons cette république enchantée où les âmes se rendent visite sur des nacelles qu’une seule larme suffit à lester. »

Quelques mois à peine après la Révolution de velours qui ouvrit en douceur Prague et la Tchécoslovaquie à la vibration de la liberté, une fois oubliée « l’insoutenable légèreté de l’être » choisie en 1982 comme titre de roman par Milan Kundera, la Ville d’Or se révélait aux touristes émerveillés comme un cristal dont toutes les facettes disaient et reflétaient l’Europe aussi polyglotte que multiculturelle, autant pétrie d’événements passés que prête à l’avènement de la paix. Voici donc des phrases placées sur les enfantines lèvres de Prague, en quelques lignes nées au fil de l’été 1991 où la démocratie s’essayait à ses fraternels savoir-faire comme à ses mélodies populaires.
« Que frémisse l’offrande Et fleurissent mes landes.
A quatre pas,
Ente deux paumes Et mon arôme,
Quel accord bat ?
Ô vides hampes, Ô vives lampes,
Entre les gonds
Des riches porches,
Mon jour est blond
Comme une torche.
– Noue à nos doigts
Ton fil, ta vague,
Pour que tes toits
Brasillent, Prague ! »
[La Bertramka]
« Voici l’arrêt Pur, sans regret,
Et la campagne Boit son champagne.
– Sans fin, Vltava,
Comme une dague,
Tu viens, tu vas,
Retaillant Prague.
Comme si ton souffle et tes cieux
Te passaient une sainte bague,
Par tes cils d’or, Prague,
Se rouvrent nos yeux.
La libre Bohême Mérite un poème
Radieux, transparent Et parent du vent…
Son amour enrobe Le frissonnant globe,
Son paisible accueil Désaltère l’œil.
– Ne craignez pas. Les ans, les siècles ne délavent Jamais mes pupilles ni ma tendresse slave :
Reconnaissez son sceau Fidèle en mes travaux ! »
N’ayez pas peur non plus qu’en ces grises églises Epuisée la prière un jour se paralyse :
Dans leur obscurité, Mozart sut abriter
A jamais sa louange derrière ces façades Que ne dégrade nul ordre, même malade !
Voyez le vieux curé Dans l’ombre rassurer
D’un coup de chiffon doux le noir échafaudage Dont la rouille rugueuse a traversé les âges.
Il est mort, le dédain Qui grillait les jardins !
Le plus humble garçon règne, sur un manège. Il croit toucher du doigt une plage de neige :
Dans le nid de l’été Mûrit sa pauvreté.
Il nous faudrait aussi contempler ces sgraffites : Dans les creux ténébreux du crépi, les pépites
Du jour brillent sans bruit, Jusqu’à percer la nuit.
Sous mon cœur vibre un chœur qui jamais ne se fane, Qui délivre la source et partage la manne :
Appuyé sur la Croix, Chacun sait qu’il est roi.
Sur ses cheveux se penche une splendeur de lustre ; Nul danger que l’angoisse imposée ne le frustre
Plus : même les objets Suscitent son respect.
Est-ce pour cela que mes rues, mes « ulices », Rappellent le levant de l’Occident, Ulysse ?
Dans tous les cas, Ubu Est bon pour le rebut !
Regardez remonter le feu des Catacombes. A chaque Européen le devoir d’être incombe :
Que la persécution Le cède à la Passion.
Entendez-vous mes coins et mes places qui chantent ? Les gorges longtemps tues soudain ensemble inventent
Comment parler, marcher, Célébrer et chercher.
Ma musique n’a plus besoin de métronome , Mais elle provoque le plus profond de l’homme
A sortir du boisseau,
A planter ses chandelles Sur chaque citadelle
Pour briller fort et haut.
Vois, petite Europe :
Tes propres vaisseaux
Colmatent leurs brèches ; La peinture fraîche
Guérit tes châteaux ;
Désormais, n’écope
Plus, mais suis l’oiseau.
Oublie tes divorces, Rassemble tes forces !
Viens boire à cette Eau
Qui ne zigzague, Ni ne divague,
Mais rend clair et beau ;
Puis trotte et galope !
Que tes rameaux
Se développent :
Découvre les cadeaux
Que je t’offre, moi Prague. »

M. H. Mulhouse-Prague-Strasbourg, été 1991.
P.S. 21 août 2014.
Chassons le sommeil
avec cette ville enfantine, toute d’or et d’aigues-marines :
veillons au soleil,
brillant dans la si Large-Vue d’EurOpe en partage reçue.