
Dans toutes les langues, les mots s’entretiennent mutuellement, se maintenant en vie les uns les autres pour que nous restions éveillés, maintenant et sans cesse, aux merveilles les uns des autres. Ainsi, l’entretien d’une maison se cultive à coups de mains et d’amitié, pour que la conversation poursuive sa secrète maturation.
Qu’est-ce en effet que la conversation qui nous semble si familière ? C’est en profondeur bien plus qu’un échange de propos anodins ! C’est vivre ensemble, s’adopter lentement et justement s’adapter, entre silence et musique, entre la concentration et l’accord, entre l’étrange et quelques anges, entre intuitions discrètes et secrètes communions, entre connivences inconscientes et découvertes confiantes. Aristote le disait déjà : pour l’active bienveillance que suppose l’amitié, il suffit de partager du temps et des habitudes (Ethique à Nicomaque, Livre VIII), donc de mettre en commun (KOINΩNIA) une demeure, c’est-à-dire un espace qui, par le respect de l’autonomie et par le sens de la paix, empêche que l’inspiration ne meure. Concrètement, continûment, les relations nous relient, relatant, dilatant, l’expérience universelle dans l’énergie fraternelle, comme Montaigne l’avait perçu au fil de ses Essais :
À cela sont merveilleusement propres la fréquentation des hommes et la visite des pays étrangers […] pour frotter et limer notre cervelle contre celle d’autrui (Essais, Livre I, Chapitre 25).

Dès lors, toutes nos maisons accueillent couleurs et sons, harmonies quotidiennes et tâches musiciennes, programmes et gestion, réponses et questions, bref des partages à chaque étage… Pour vivre longtemps et bien, sans que l’oubli sur place nous éloigne, avec la délicatesse qui soigne, il nous faut tisser des liens aussi simples que fidèles, improbables et sûrs comme des ailes… Nous avons même, disait un Russe célèbre, une Maison Commune appelée EurOpe, où les peuples s’entretiennent historiquement et culturellement, par des frottements les impliquant fortement dans la paix après les frictions des guerres, par des mouvements parfois imperceptibles ou ambigus qui pourtant les aident à s’unir comme à s’assainir, pour une plus efficace et Large Vue commune, mais toujours inédite autant qu’imminente, requérant des talents contradictoires et complémentaires :
Le silence et la modestie sont qualités très commodes à la conversation, nous rappelle encore Montaigne dans le même chapitre.
Dégustons dès lors cet équilibre insensible, mais qui nous rend libres, décrit par le même auteur dans sa langue certes désuète, mais savoureuse, au Livre III (Chapitre 8, De l’art de conférer) :
Le plus fructueux et naturel exercice de nostre esprit, c’est à mon gré la conference. J’en trouve l’usage plus doux, que d’aucune autre action de nostre vie. Et c’est la raison pourquoy, si j’estois à ceste heure forcé de choisir, je consentirois plustost, ce crois-je, de perdre la veuë, que l’ouyr ou le parler. Les Atheniens, et encore les Romains, conservoient en grand honneur cet exercice en leurs Academies. De nostre temps, les Italiens en retiennent quelques vestiges, à leur grand profit : comme il se voit par la comparaison de nos entendemens aux leurs. L’estude des livres, c’est un mouvement languissant et foible qui n’eschauffe point : la où la conference, apprend et exerce en un coup. Si je confere avec une ame forte, et un roide jousteur, il me presse les flancs, me picque à gauche et à dextre : ses imaginations eslancent les miennes. La jalousie, la gloire, la contention, me poussent et rehaussent au dessus de moy-mesmes. Et l’unisson, est qualité du tout ennuyeuse en la conference.

Si parfois l’abréviation latine cf. semble nous suffire pour exercer simplement, au jour le jour, la stimulation de l’émulation ou la pédagogie de l’analogie, retrouvons donc – en « Samouraïs fous » du délicieux goût, mais pour conférer avec elle d’une façon relationnelle – la « conversationneuse » créée par Amélie Nothomb dans son roman autobiographique Ni d’Ève ni d’Adam, cette Amélie adaptée au cinéma dans Tokyo Fiancée !
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20/20 professeur pour cette délicieuse conférence.
Mais, cher Professeur, ne s’agit-il pas surtout de CONFERER à nos projets une réalisation au service de la Maison Commune Europe, qui demande que chacun de ses habitants, sans se lasser, l’assainisse et l’unisse à l’aune de l’intégrité comme de l’intégration ? C’est pourquoi Théâme a dû ajouter après-coup à ce billet l’une des idées qui l’avaient portée en premier vers ce thème…