
I. M. Anna Sylvia Alexandre.
Puisque le premier Luc était sans doute autant peintre qu’écrivain et médecin, réunissons pour sa fête, en leur cadre alsacien de souffrance et de création, trois artistes. Il était une fois deux sœurs à Paris : tout semblait leur sourire, aurait-on dit. L’aînée s’engagea par les livres et vers la raison qui délivre… Mais la plus jeune, Hélène, fut aussi la plus « heureuse » et sut transfigurer l’humble campagne en couleurs qui dansent et gagnent !

Moins banal, le canal qui voulait faire mine de dormir s’illumine… Les murs de la Fonderie sortent du noir : car une combinaison blanche fait voir l’usine disparue juste au bout de la rue, par les pinceaux et les rouleaux.

Et le préau devient pré haut pour que décolle la cour d’école !

Une élève espiègle des Pontonniers tout proches n’eut pas besoin d’entendre aucun appel de cloche pour penser pleinement, pour humer le ciel bleu, pour « italianiser » ou se mettre à l’hébreu. Sylvia monta sur sa bête étonnante, à l’allure penchée, quelque peu hésitante : l’amitié, le théâtre, ont poussé le vantail du handicap natal et ses épouvantails.

Par le regard que sculpte l’art, gastronomie, théologie, à travers l’hiver du mal vont de pair. Mais un lit de douleurs et de prières a voulu, pour mieux se joindre aux lumières de Luc, ce mercredi jour des enfants, du solennel refus de la misère et des fauves qui firent bonne chère d’Ignace broyé par les cruels Romains, appareiller le 17 octobre 2018 loin des ravages pour mieux protéger nos rivages. Avec sa mère désormais centenaire, avec Marianne qui assura près d’elle une curatelle fraternelle, l’ancienne Guide de France nous guide encore : enfin libre, elle avance.
Après avoir été fidèlement entourée, Sylvia sera « enterrée » à la chapelle Saint-François, non loin du pavillon où elle a fini ses jours à l’hôpital de la Robertsau, puis inhumée au cimetière de Rosheim : voici donc qu’en la Saint-René elle rejoindra le Père éternel, son père le grand poète Maxime Alexandre et son amie qui resta jusqu’au bout sa veilleuse éclaireuse, en littérature notamment théâtrale comme en hébreu, l’universitaire au grand cœur Colette Weil. Il nous reste dans l’oreille le grain de sa voix grave transmettant l’entrain comme une douce amertume, et dans nos cœurs se rallume l’amère douceur d’une écoute sœur qui, même en tremblant sous la charge, montre d’un sourire le large.

Voici le commentaire de Michelle, qui est restée reliée à nos prières avec et pour Sylvia :
« Du moins si la voix de Sylvia
est trop vague pour nos sens,
son âme en secret murmure
de plus intimes accents;
Au fond du COEUR qui sommeille
Les souvenirs qui s’éveillent
se pressent de tous côtés
comme d’arides feuillages
que rapportent les orages
au tronc qui les a portés. »
Elle est donc partie l’amie, partie de l’autre côté des choses, la veille de la saint Luc, et il est juste et bon de se faire parolière de la jeune morte, Sylvia, d’extraire pour qu’il répande sa saveur le suc d’une vie que la maladie diminua mais ne réduisit pas à elle. Elle est belle, cette trace que laisse une toile où une âme en bleu s’est déposée, et il nous sourit encore, ce visage que l’amie a aimé en le prenant en photographie : « visage sous vos traits la terre se regroupe ». Quant au goût pour les langues il est goût pour le Verbe, lui qui, en se faisant chair, a épousé toutes nos fragilités. Alors peindre, oui, c’est délier la relation. Hélène souveraine eut ce mouvement de peindre sa soeur, comme Martine celui de peindre avec des mots le visage en allé. Martine, Simone, vous écrivez ; Hélène, Sylvia, vous peignez. Luc d’une même main unit le calame et le pinceau. Ecrire et peindre donnent hospitalité à la VIE alors accueillie dans son plus intérieur rayonnement. Ainsi prend-on soin du monde. Ainsi le grain qui meurt donnera beaucoup de fruit.