
On pourrait croire Théâme en vacances. Or c’est plutôt le surmenage qui la ballotte et la mobilise. Mais nous observons souvent que soudain, dans le chaos de notre quotidien, surgissent des lignes de lumière.
C’est le cas avec cette image d’un Palais de Justice dont la rénovation se termine à Strasbourg, et s’orne déjà de globes en verre de Meisenthal. Au lieu de songer à de vaines boules de cristal, comment ne pas y percevoir un appel à la transparence et l’amour qui monte d’un fameux poème d’Éluard ?
La terre est bleue comme une orange
Jamais une erreur les mots ne mentent pas
Ils ne vous donnent plus à chanter
Au tour des baisers de s’entendre
[…]
L’aube se passe autour du cou
Un collier de fenêtres
Des ailes couvrent les feuilles
Tu as toutes les joies solaires
Tout le soleil sur la terre
Sur les chemins de ta beauté.
Paul ÉLUARD L’Amour la poésie, 1929.
Ainsi parfois notre globe joue aux nuances d’un fruit solaire et d’un azur océanique, entre l’aurore éphémère et le diaphane outremer…

Laisserons-nous la tyrannie des désirs diriger les peuples et nous voler non seulement nos valeurs solides, car solidaires, mais aussi par le fait même les bases d’une Europe toujours à vivre et construire ? Écoutons plutôt le baron de La Brède partir des soucis domestiques pour énoncer une règle d’or, simple comme le nombre d’or, un principe à la profondeur cosmopolite, donc pleinement démocratique :
Si je savais quelque chose qui me fût utile, et qui fût préjudiciable à ma famille, je la rejetterais de mon esprit. Si je savais quelque chose utile à ma famille, et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l’oublier. Si je savais quelque chose utile à ma patrie, et qui fût préjudiciable à l’Europe, ou bien qui fût utile à l’Europe et préjudiciable au genre humain, je la regarderais comme un crime. (Charles-Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu, Cahiers.)

Que s’effeuillent les roses et les pages, au pied du Tribunal en devenir, de Charles de Foucauld en statue et de Saint-Pierre-le-Jeune… Mais que la justice passe et nous fasse parents de son ordre transparent, nourrissant en nous, entre nous, sa sphère plus juteuse que l’or.

Le mystérieux tableau de Jan Van Eyck intitulé « Les époux Arnolfini » montre, du côté lumineux, précisément quatre oranges : mais, en face, la figure féminine semble rayonner d’un éclat autre que terrestre. C’est donc un « roman d’investigation » qu’il a suscité sous les yeux et la plume de Jean-Philippe Postel. Cette composition autour d’un miroir en abyme bombé fait… réfléchir aux opacités de notre planète.

Que de guerres-éclair ou permanentes, alors que seule la paix éclaire ! Que de littérature inutile alors que la liberté peut inspirer et qu’elle doit aspirer à la justice, en aspirant les auteurs, les lecteurs, de possibles acteurs, vers la justice ! Au bout des semaines, des ballets nocturnes gravitent lentement vers les flamboyants anneaux de rencontre et de contemplation que sont les immenses salles de spectacle actuelles : comment dépasser la dignité bafouée, sinon en faisant silence devant la danse, en accompagnant du pouls les coups très doux des pas qui s’accordent, qui s’envolent, en applaudissant l’orchestre portant la grâce, pour chasser ensemble enfin la peur et la haine ?

Léon Tolstoï avait presque cinquante ans quand fut créé, sur une partition de P. Il. Tchaïkovski, Le Lac des cygnes. Sa pensée et son œuvre mûrissaient avec puissance, avec générosité, puisque la même année il publiait Anna Karénine qui lui valut un succès définitif. À ses yeux, « les êtres humains préfèrent souvent aller à leur perte que de changer leurs habitudes ». Et pourtant selon lui, dans le combat non-violent qu’est chaque vie, « les deux guerriers les plus puissants sont la patience et le temps ».

Sans un mot, la chorégraphie et son aérienne incarnation l’expliquent à leur manière, aussi limpide que bienfaisante, pour notre terre certes « bleue » de coups, mais aussi de sucs infinis et d’un azur translucide. Les Cygnes noirs de l’injustice, de l’esclavage, ne peuvent que s’abattre sous la flèche claire et fraîche de l’amour : « au tour des baisers de s’entendre », au tour des esprits de se comprendre. Au tour des oranges de resplendir avec les autres créations, de guérir tout autour de notre globe la faim et la soif. Car la terre est bleue comme un agrume en quartiers, comme une orange aux sucs tissés par les métiers.
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Je lis très tard, aujourd’hui le 2 mars, ce très beau Théame sur les sphères, accompagné de photos si belles et un texte de Montesquieu à méditer et, si possible ; à essayer de vivre !
Merci Martine