
La belle étoile, voilà ce qu’il faut pour les nuits à traverser en jamboree – mot créé de toutes pièces par le fondateur du scoutisme Baden-Powell, a fortiori en rassemblement scout.

Mais, cette année, c’est au zénith qu’ont dormi les 15 000 jeunes chrétiens, juifs, musulmans… venus de toute l’Europe et rassemblés à Strasbourg, pour cause de tornade. Leur maître mot est resté le mot d’ordre du jamboree 2015, et ce simple jeu de mots pourrait bien contenir en germe un joyeux travail contre les maux de l’Europe : You ‘re up ! Vous êtes sur le pont ! Précisément, il a suffi d’une séance plénière au Parlement européen pour que les chemises rouges de ces Pionniers embrasent de ferveur et de fraîcheur, à force de discipline, d’écoute et d’audace, des institutions poussiéreuses.

D’ailleurs, la résistante Anise Postel-Vinay commença par être Éclaireuse de France au nom de « l’ouverture d’esprit » que sa mère avait souhaitée pour ses enfants.

Le jour même de l’évacuation mouvementée de ce Jamboree 2015 dévasté par une tempête, nous apprenions la disparition de Jean Lacouture, ce biographe passionné par l’admiration sous toutes ses formes. C’est lui qui raconta par exemple la grande aventure des éditions du Seuil incarnée par Paul Flamand. Or leur tout premier seuil fut le succès remporté en 1943 par le livre de Guy de Larigaudie, « un Baden Powell français », intitulé Étoile au grand large :
A la pomme du grand mât sur un voilier, lorsque plus aucune terre n’est en vue, on possède pour soi seul le cercle d’horizon. On voudrait pourtant pouvoir repousser plus loin encore cette ligne, faire éclater cette limite, qui malgré tout nous emprisonne parce que nous sommes faits pour des lointains plus vastes que les étendues rabougries des horizons terrestres.

Recueillons encore les leçons des traversées primordiales, toujours en devenir pour entretenir la jeunesse de l’humanité. L ‘historienne de l’antiquité Josette Elayi a, pour sa récente Histoire de la Phénicie, mis en exergue un passage d’Eupalinos ou l’architecte de Paul Valéry :
Ce Phénicien audacieux ne cessait de considérer en son âme le problème de la navigation. En soi-même, il agitait incessamment l’Océan.
Mais l’un des bateaux inventés par Tridon retient notre attention dans la suite de ce dialogue platonicien contemporain :
j’ai vu prendre le large à la plus pure de ses filles, la fine Fraternité aux formes fuyantes, le soir qu’elle partit pour son premier voyage.
Ainsi les essors de la conception navale, de la transcription graphique et de la dynamique (a)politique font corps dans ce peuple insaisissable, inépuisable, irremplaçable : les Phéniciens sont bien les créateurs à la fois de la navigation, de l’alphabet et de la démocratie, comme l’affirme l’historienne J. Elayi.

Où donc est alors passée Europe, leur fille qu’ils appelaient Crépuscule, notre mère que les Grecs nommèrent Larges-Yeux, dans ces pages d’histoire ouvertes à l’exactitude des faits, mais fermées au souffle du mythe qui pourtant vivifie et modèle les peuples, leurs échanges et notre destin ? Entre les étoiles qu’il fallut déchiffrer sur la mer inconnue et le zénith qui fit briller les plus commodes signes d’écriture ainsi que les rivages nouveaux, il lui reste la lumière d’un engin divin et les mains des cœurs fraternels auxquelles elle se trouve confiée pour nous aider à naviguer entre zénith et belle étoile, entre erreurs et splendeurs.
