
Il est des silences qui vous mettent en route mieux que des ordres, comme des appels d’air créant un courant, vous entraînant plus loin que des objets en déséquilibre, dans une fraîcheur qui transfigure les atmosphères les plus familières, brèches d’horizons dans nos sombres cloisons. De tout bon ouvrage émane cette nappe de présence et de résonance qui baigne les rives de l’action. Sous ses allures enfantines, anodines, le livre de Marguerite Duras Ah ! Ernesto est de ceux-là, sonnant comme une exclamation, mais nous enveloppant d’un souffle de soif ou plutôt d’une aspiration à désaltérer : littéralement à rendre à soi-même le lecteur… Alors le jeune Ernesto sera né plusieurs fois de Marguerite Duras, dans un livre apparemment rédigé pour les enfants, dans un film intitulé précisément Les Enfants et, finalement, dans La Pluie d’été, comme aimanté par une irrésistible force d’amour qui transmue toute mort en ressort neuf d’accords. On le sentait miraculeusement né pour le théâtre, et le voici lancé sur les planches en tournée, tantôt pour des enfants réels et plus fortunés que lui, tantôt pour des adultes attendris, médusés.

C’est bien ce que produit, d’après Socrate s’adressant avec élan – peut-être par jeu sur le nom de son interlocuteur – à l’antique Ion déjà mû par une mystérieuse énergie (533 c), le magnétisme du dieu de la création : jusqu’au spectateur, à travers l’aède et l’acteur, le dieu attire l’âme, partout où il le veut, des êtres humains, faisant passer en suspens des uns aux autres sa puissance (Platon, Ion ou de l’Iliade, 535 e – 536 a : traduction du grec proposée par Théâme). Or, écrit Catherine Chalier dans Lire la Torah, aucune grande œuvre de langage ne reste enfermée dans les limites des intentions de son auteur. Certaines scènes traversent les ères et les aires en nous rendant lentement visionnaires, ou plutôt attentifs à des cris presque actifs, tel Samuel qui se lève vers une voix sans trêve (1 S 3).

L’écriture esquisse toujours d’autres tableaux en nous, pour que le doute soit chassé par l’écoute et que « l’attente » soit un « banquet » humble et beau.

C’est ainsi que le livre en profondeur délivre, pour peu que le lecteur cueille le don de la pensée transmise presque sans un son… Ils existent donc, Les Liens qui Libèrent ; au lieu d’obérer, voici qu’ils opèrent : parmi les événements qui nous effraient, des routes bravement soudain se fraient.

A nous d’entretenir sans fin Nos Voies d’espérance pour pouvoir mieux offrir à chaque enfance sa chance ; à nous de prêter nos oreilles, nos projets, à l’appel intime que nous souffle la paix. Car chaque livre est puits de silence ivre qui luit. Que dès lors la force de la parole, passée au feu magnétique et logique des vrais enjeux, rende efficace l’action bénévole !
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