
L’amour divin tout à coup vint changer la prêtresse en face traîtresse, d’abord. Son corps de génisse la masque et la protège pour qu’Io puisse enfin donner le jour, par-delà sa fuite sur mers et neiges, au petit Epaphos, Toucher vibrant qui délivre sa mère de l’ancienne misère, qui l’ouvre au grand vent du Levant… Ses descendantes ne seront pas inconnues : voyez EurOpe qui se nomme Large-Vue !

Ainsi la lettre du désert développe sa corne et sert soudain de monture à l’infime aventure qui court, écrit, plus fort qu’un cri !

Ovide sut le dire : son rythme nous inspire bien mieux qu’une histoire à dormir debout. Car le latin peut réveiller le goût en nous de comprendre, au sens le plus tendre…
Un jour où d’aventure,
Sous des traits de mortels,
Ils cherchaient à leur lassitude
Un abri fraternel
Sans trouver de sollicitude,
Virent une seule maison
Leur faire finalement don
De l’hospitalité : c’était un toit de chaume
Dont deux vieillards auraient voulu faire un royaume.
Et voici qu’il advint
Le miracle du vin.

Voici même la cime élevée des montagnes
Qu’avec les deux dieux humains gagne
Le couple presque jeune et sain,
Quand un glissement de terrain
Violent n’épargne que leur baraque.

Au lieu que dans le chaos elle craque,
Elle se transfigure en un temple infini
Au grand étonnement des vieux abasourdis.
Alors père et fils divins leur proposent
De souhaiter la plus douce des choses :
Après concertation et d’une seule voix
Ils ne demandent que le droit
De veiller ensemble sur le beau sanctuaire,
Eux, Baucis et Philémon
Se disant toujours « Aimons »,
Avant de se glisser dans l’ombre funéraire.
[Adaptation proposée par Théâme pour le début de cette Métamorphose d’OVIDE, Baucis et Philémon, VIII, vers 618-710.]

Alors qu’ils se tenaient tout droits
Sur le seuil, détaillant l’ouvrage,
La douce Baucis vit son compagnon
Devenir feuillage, tandis que Philémon
Qui s’avançait davantage en son âge
Ne perçut de Baucis que le feuillage :
Sur leur double front
S’envolaient des troncs !
Tandis qu’ils échangeaient un suprême
« Adieu, mari – chérie, toi que j’aime »,
Des jets d’arbrisseaux
Couvrirent ces mots
Sur leurs lèvres interdites à la vue.
Mais là le Bithynien, dès votre venue,
Vous montre comment
D’une double souche
Partent des fûts aimants
Dont voisinent les bouches.
(Traduction proposée par Théâme pour les Métamorphoses d’OVIDE, VIII, vers 712-720.)

Bon sang ne saurait mentir, mais va plus haut qu’un menhir : tout amour est un arbre de vie, où pour bien aider quelqu’un l’on respire un air commun, où la beauté jamais ne dévie. EurOpe, dans le film de Christophe Honoré, sur ces deux troncs tremblants vient non se reposer, mais dans le désir d’apprendre comment voir, comment entendre… Ainsi La Fontaine va boire quelquefois aux Métamorphoses, leur donnant d’autres voix. Car, d’une ère à l’autre, la sève à travers les œuvres s’élève, non pour rénover, mais bien pour sauver : la mue, la vue, on ne peut les diviser sans risquer de se briser.
Un jour qu’assis tous deux dans le sacré parvis
Ils contaient cette histoire aux pèlerins ravis,
La troupe, à l’entour d’eux, debout prêtait l’oreille ;
Philémon leur disait : Ce lieu plein de merveille
N’a pas toujours servi de temple aux Immortels :
Un bourg était autour, ennemi des autels,
Gens barbares, gens durs, habitacle d’impies ;
Du céleste courroux tous furent les hosties.
Il ne resta que nous d’un si triste débris :
Vous en verrez tantôt la suite en nos lambris ;
Jupiter l’y peignit. En contant ces annales,
Philémon regardait Baucis par intervalles ;
Elle devenait arbre, et lui tendait les bras ;
Il veut lui tendre aussi les siens, et ne peut pas.
Il veut parler, l’écorce a sa langue pressée.
L’un et l’autre se dit adieu de la pensée :
Le corps n’est tantôt plus que feuillage et que bois.
D’étonnement la troupe, ainsi qu’eux, perd la voix,
Même instant, même sort à leur fin les entraîne ;
Baucis devient tilleul, Philémon devient chêne.
Est-ce que le poète incarnait en souriant le surnom de Jeannot Lapin le sautillant au point de nous cacher le lieu de cette fable ? Pour ce conte d’amour naïf, mais adorable, serait-ce l’ultime avatar ? Laissons faire l’âme et son art ! Mais sachons vouloir la métamorphose comme Orphée, par la plume de R. M. Rilke, recommandait Wolle die Wandlung !
Il est mille manières de se mouvoir dans la lumière pour ne jamais déchoir. Voici d’ailleurs des lignes toutes fraîches surgies de l’âge inexorable, émergeant de la nuit qui grandit sans voiler le radieux accord des cœurs et des corps entre Paÿ et Maÿ M., quand l’ange vint sur Langevin :
Philémon et Baucis à Paris ou L’arbre du square

Deux réseaux de blancheur forment un arbre clair.
Son étrange façon fait le bonheur de l’air ;
Pour mieux charmer les yeux, ce rêveur a du flair.
L’ami de la hauteur aspire au firmament :
Le moins cabré des bois fait du sol son amant.
Nulle rivalité entre les deux niveaux.
Chacun se sent joyeux de ses propres travaux.
N’est-ce pas Marie de France qui nous revient en mémoire, avec son Lai du Chèvrefeuille ?

Il vous souvient, disoit-il en lui-même, de l’arbre au pied duquel est planté du chèvrefeuille. Cet arbuste monte, s’attache et entoure les branches. Tous deux semblent devoir vivre longtemps, et rien ne paroît pouvoir les désunir. Si l’arbre vient à mourir, le chèvrefeuille éprouve sur-le-champ le même sort. Ainsi, belle amie, est-il de nous. Je ne puis vivre sans vous comme vous sans moi, et votre absence me fera périr.

Les branches se penchent l’une vers l’autre et vers le ciel, des denses feuillages aux âges qui nagent. Même l’épopée mère monte à la surface du présent, faisant frémir de jeunes cadeaux intemporels depuis Ulysse, Pénélope et l’Odyssée (chant XXIII à partir du vers 188) :
« Une pousse jaillissait avec ses longues feuilles d’olivier dans l’enceinte au milieu,
haute, drue, et avec l’épaisseur d’un pilier […]
Sur ce point de départ, j’ai appuyé le lit et tendu la scintillante courroie d’une pourpre bovine:
ainsi ce signe brille par mes paroles, mais j’ignore absolument,
femme, si m’attend, bien planté au sol, le lit ». (Traduction proposée par Théâme.)
Ainsi l’alliance des règnes fait qu’un humble bois, jusqu’au bout des doigts humains, de salut nous baigne.

Plus que le stuc soude le suc de ses paroles, qui changent l’amour en vigilant jour, qui ne s’envolent que pour nous aider à rester ailés !
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Extraordinaire. Quel talent et travail pour célébrer l’un et l’autre..
Théame ne cesse d’élargir ma vue, à tout propos d’ailleurs.