Sous les coups des couvreurs
réparant de tout leur coeur la carène
de la maison, sans heurts,
pour qu’elle navigue encore sereine,
j’entends la CORRESPONDANCE danser
de ses multiples sens condensés…
Au commencement fut la source
proche-orientale avec la course
du caractère en forme de taureau,
mais aussi du bateau dont les naseaux
bravèrent sans trembler l’océan des distances,
pour que s’établissent de vraies CORRESPONDANCES :
ainsi, les premiers musiciens
du lien furent les Phéniciens,
voilà trois millénaires !
Les ères et les aires
en furent transformées dans toute direction…
farm8.staticflickr.com ?
Charles Baudelaire fit avec dilection
chanter en un sonnet mille synesthésies
pour que nous refondions la danse et l’harmonie…
Sommes-nous devenus de tous ces inventeurs
parfois anonymes les dignes successeurs
quand sur la Toile,
en lisant ou bien en écrivant, nous voguons
sous les étoiles
et qu’en internautes silencieux nous bloguons ?
Il faudrait pour cela que la contrée natale
de l’alphabet comme des constructions navales
ne reste pas la proie du meurtre et des tyrans,
qu’elle ne laisse pas massacrer ses enfants,
mais que sa fille Europe ait parmi nous la chance
de redonner naissance à la CORRESPONDANCE.
Je viens précisément de découvrir, par les correspondances dont même les voisinages ont le secret, des pages insérées en 1996 par André Comte-Sponville dans ses Impromptus parus aux P.U.F. En voici le début, sous l’éclairage d’une fresque retrouvée à Pompéi :
« On s’écrit parce qu’on ne peut se parler : le plus souvent à cause de la distance, de la séparation, d’un espace que les paroles ne peuvent franchir. Ainsi lors d’un voyage ou d’un exil. Ce fut pendant des siècles le seul moyen de s’adresser aux absents, de porter la pensée là où le corps ne pouvait aller, là où la voix ne pouvait aller, et c’est le plus beau cadeau peut-être que l’écriture fit aux vivants : leur permettre de vaincre l’espace, de vaincre la séparation, de sortir de la prison du corps, au moins un peu, au moins par le langage, par ces petits traits d’encre sur le papier. Le plus beau cadeau, mais point le seul, ni le premier. L’écriture eut une fonction d’archivage, sans doute, avant d’en avoir une de communication. Il s’agissait de vaincre le temps, plutôt que l’espace. De conserver, plutôt que d’échanger. Ou, si l’écriture servait à communiquer, c’était par le déplacement des lecteurs plutôt que par celui du message. On gravait sur la stèle, sur le mur, devant quoi les gens passaient : immobilité du texte, mobilité des lecteurs. Une pyramide est une enveloppe, si l’on veut, dont la momie serait la lettre, dont les hiéroglyphes seraient le texte. Quelque chose se dit là, se communique. Un message, mais sans autre messager que soi. Mais immobile. Mais qui parcourt les siècles plutôt que les kilomètres. Il s’agissait de vaincre, non l’absence, mais la mort, non la séparation, mais l’oubli, non la distance, mais le temps. Non d’échanger, mais de maintenir. Comme nos enveloppes sont fragiles, à côté de ces tombeaux ! Elles nous ressemblent. Fragilité de la vie, des échanges, des individus, sans autre éternité que celle du temps qui passe, de ce présent qui dure, de ces vivants qui meurent… Fragilité de la correspondance : fragilité de vivre et d’aimer. Nous écrivons nos lettres, non pour vaincre le temps, mais pour habiter ensemble, autant que nous pouvons, malgré la séparation, malgré l’espace, le peu de temps qui nous est donné en commun. »
Fresque de Pompéi, www.encyclopedie-universelle.com
Ainsi la Vaste-Vue d’Europe qui vit le jour sur le rivage syro-libanais nous confie-t-elle encore tous les moyens de contact qui peuvent développer dans l’humanité, par la seule abondance de la correspondance, par l’aventure de la démocratie qui n’est jamais complètement réussie, par les réponses qu’exige de nous la responsabilité, le tissu de la justice et de la paix.